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Lina Ben Rejeb à la galerie Selma Feriani

Sidi Bou Said est plongé dans cette lumière crue de janvier où l’architecture se découpe sur un ciel bleu azur. La porte de la galerie Selma Feriani est entrouverte. En la poussant, on arrive dans un autre monde, celui de l’artiste à l’ouvrage. Lina Ben Rejeb est penchée sur une table où se trouvent pêle-mêle du scotch double face, une règle métallique, un cutteur, et des sachets remplis de pièces de bois aux motifs évoquant flore et faune d’un ailleurs lointain.


Vive, prolixe, avenante, Lina Ben Rejeb nous entraine dans son tourbillon s’arrêtant longuement devant les œuvres installées pour sa deuxième exposition personnelle à la galerie. Lina n’est pas une inconnue de la scène artistique tunisienne. Elle a présenté à la Boite à Tunis, il y a quelques semaines, une exposition personnelle sous le titre « Nous vivons trop près des machines », dont l’exposition actuelle est une sorte de prolongement.
Convoquant Shakespeare, Merleau Ponty, Deleuze ou Lalonde, Lina Ben Rejeb nous emmène dans son monde. Diplômée de l’Ecole des beaux-arts de Paris, elle travaille sur la déstructuration de la peinture mais aussi sur notre monde qui se délite. Cette société basée sur le travail, et celui-ci qui se transforme, se déplace, se mue. Elle les décortique, les analyse, les revisite. L’exposition présentée, joliment intitulée « Le pas de côté » réunit différentes manières d’appréhender la société qui l’entoure avec une réflexion sur l’entre deux, sur ce qui a été et sera. 


Faire un pas de côté, c’est prendre un peu de temps pour regarder autour de soi, un pas de côté c’est se placer hors du temps comme lors des nombreux voyages en avion qu’elle effectue souvent à l’heure bleue qui permet une pause pour laisser l’esprit vagabonder et prendre en photo, à travers un hublot, des cieux où trainent des nuages. Les œuvres présentées comme Peintures domestiques II ou Les petites mains II ont été produites après une résidence qu’elle a effectué en Inde et de sa rencontre avec le monde du sari. Cette longue pièce de tissu teinte sur laquelle on encre des motifs n’est pas sans rappeler la toile, le tableau, la peinture que l’on retrouve dans l’œuvre La part manquante. 

Peintures domestiques II, 2019 -  courtesy of Selma Feriani Gallery and the artist

Mais l’artiste est curieuse, regarde l’envers des choses. Pour révéler un motif, il faut l’effacer c’est le manque qui le fait exister. De même que montrer l’endroit et l’envers simultanément, nous offre des œuvres entre deux où rien ne semble défini, le but est de mettre en avant le matériau et à travers lui le mécanisme de production. Ainsi avec Copie à revoir II les cieux pris à l’heure bleue se représente sous une projection, à travers un collage numérique et manuels, et comme l’ouvrier sur sa machine qui répète le même geste, en faisant la reproduction de la reproduction et cela plusieurs dizaines de fois, le motif alors s’efface, comme un épuisement du geste, comme un mot que l’on répète et dont on perd le sens. 

Copie à Revoir (artwork detail) - courtesy of Selma Feriani Gallery and the artist


Au final, le spectateur à travers cette exposition fait un pas de côté, à côté de ce qu’il a l’habitude de voir, à côté de ce qu’il aime qu’on lui raconte. Après ce léger inconfort contrebalancé par le fort attrait esthétique des œuvres, découvrir que le geste de l’artiste minutieux, attentif, a effacé à l’eau de javel le motif, a écrit sur un mur bleu profond avec des tampons aux motifs chargés, a mis côte à côte des dizaines d’images de ce ciel que l’on découvre en levant les yeux. En fait Lina nous donne des pistes, des chemins à explorer mais, comme elle le cite de mémoire « je serai bien en peine de dire où est le tableau que je regarde »….

image d'accueil :Les petites mains II - courtesy of Selma Feriani Gallery and the artist

Elsa Despiney


LE PAS DE CÔTÉ - Lina Ben Rejeb - Galerie Selma Feriani, jusqu’au 15 mars 2020
http://www.selmaferiani.com
http://www.linabenrejeb.com/
http://www.laboite-kilanigroupe.com/