• Tunisie (2019)

VULVnérable by Hope Mokded (2019)

"Ayant fait mes études à l’institut supérieur des beaux-arts de Tunis en spécialité gravure, j’ai continué mes recherche à l’université de Strasbourg , j’ai axé ainsi mes réflexions sur la problématique de la violence invisible, qu’on pourrait définir comme une violence sociétale acceptée, et sur comment, en tant qu’artiste et femme, créer une trace de cette violence afin de rendre celle-ci intelligible.
Mon exposition personnelle Vulvnérable : Quand la violence pénètre l’intime à la galerie El Teatro représente pour moi à la fois un retour dans le lieu où tout à commencer, la première galerie dans laquelle j’ai exposé mes gravures au cours d’expositions collectives et à la fois sur le sol qui m’a vu naitre et qui a inspiré mes recherches sur les violences visibles et invisibles faites aux femmes. Dans la société tunisienne une femme sur deux subit les violences. Témoin privilégié, je puise mon inspiration de ce que j’ai observé, de ce que j’ai vécu et des séquelles qui subsistent après les violences.
Les violences dont je parle sont la domination masculine et le harcèlement moral, le trauma après la violence, les menaces latentes à partir du moment où il y a oppression. Cette violence traumatisante est encore plus présente et difficile à discerner que la seule violence physique car elle est masquée dans la réalité quotidienne.
En observant mon travail et avec le recul, j’ai pu constater que l’émotion exprimée traite, de manière systématique, de la douleur, la souffrance et la tragédie, mais occasionne également chez le spectateur la sensation d’une perte de repères. Mon travail a une vocation à montrer comment vivre après la violence, dans une relation quasi catharcissique, et comment se passe l’intime au quotidien.
Je questionne à travers la vulnérabilité de la vulve, l’ensemble des violences infligées aux femmes, qui sont ici mises en lumière.
C’est dans cette fragilité qui apparait la beauté, niée jusqu’ici dans l’imaginaire collectif, des fluides menstruels comme une possibilité. C’est une réhabilitation de la femme et de son propre corps dans ce qui apparait être le plus intime.
C’est pourquoi ma pratique picturale est basée sur des instants libres où je vis une expression à la fois corporelle, en tant qu’immédiateté, et sensorielle par le geste qui est une forme d’extériorisation : on le montre par essence aux autres, on fabrique un mouvement, une communication. J’utilise les dripping pour représenter les menstruations qui sont un tabou dans la société patriarcale et pour incarner le sang témoin de la violence. Je tente de sublimer ce qui est habituellement caché. J’essaye, ainsi, de lever la honte qui entoure ce sujet.
Les différentes couleurs, rouge noir et blanc se mélangent, coulent, et se chevauchent tout en jouant les unes avec les autres. J’utilise tout mon corps, j’imprime mes empreintes de pieds sur le support, je laisse une trace, la marque d’une présence.
La relation entre le corps de l’artiste et le support relève de l’art corporel. Le corps vécu dans la société moderne tel qu’il est occulté ou nié, joue le rôle d’un révélateur. Il est soumis à l’institution, aux codes, aux mythes, aux rituels sociaux, ludiques, religieux, biologiques ou psychanalytiques.
Le corps dans Vulnérable apparaitra au travers des sous-vêtements en dentelles imprimés en colla graphie sur papier. Ces dentelles sont les témoins de la présence d’un corps nié fragilisé maltraité dans son intimité. Le corps apparait sous forme de gravure, le trauma psychologique apparait dans des messages écrits disséminés dans les œuvres qui interpelle le spectateur en le confrontant à son voyeurisme passif face à la brutalité ordinaire."
Hope Mokdad
texte de présentation de l'expo